Trois hommes à la Chope

Jocelin était un peu pensif et n'écoutait vraisemblablement pas ce que son maître disait. Il fut donc un peu surpris d'entendre son nom et mis un temps avant de réaliser ce que Roland voulait. Se râclant la gorge pour reprendre un peu contenance, il saisit son luth et commença à l'accorder.

Ceci fait, il s'assit sur le dossier de sa chaise et gratta quelques notes, afin de vérifier la bonne sonorité de l'instrument. Il se tourna vers Cordélia:

- Cette chanson, galante mais triste, fut écrite il y a bien longtemps par un Bretonnien du nom d'Urfé. Je vais tenter d'en traduire au mieux les paroles en les chantant pour vous.

Il s'inclina légèrement en direction de la jeune femme et se mit à faire vibrer les cordes d'une façon magistrale et chanta d'une belle voix claire ce qui suit:

"Dessus les bords d'une fontaine
D'humide mousse revêtus,
Dont l'onde à maints replis tortus
S'allait égarant dans la plaine,
Un berger se mirant en l'eau
Chantait ces vers au chalumeau:
Cessez un jour, cessez, la belle,
Avant ma mort d'être cruelle.

Se peut-il qu'un si grand supplice
Que pour vous je souffre en aimant,
Si les dieux sont faits de justice,
Soit enfin souffert vainement?
Peut-il être qu'une amitié
N'émeuve jamais à pitié,
Même quand l'amour est extrême,
Comme est celle dont je vous aime?

Ces yeux de qui les mignardises
M'ont souvent contraint d'espérer,
Encore que plein de teintises,
Veulent-ils bien se parjurer?
Ils m'ont dit souvent que son coeur
Quitterait enfin sa rigueur,
Accordant à ce faux langage
Le reste de son beau visage.

Mais quoi? les beaux yeux des bergères
Se trouveront aussi trompeurs
Que des cours les attraits pipeurs?
Donc ces beautés bocagères,
Quoique sans fard dessus le front,
Dedans le coeur se farderont
Et n'apprendront en leurs écoles
Qu'à ne donner que des paroles?

C'est assez, il est temps, ma belle,
De finir cette cruauté,
Et croyez que toute beauté
Qui n'a la douceur avec elle,
C'est un oeil qui n'a point de jour,
Et qu'une belle sans amour,
Comme indigne de cette flamme,
Ressemble un corps qui n'a point d'âme."

Finissant sa mélodie sur un bel accord, Jocelin le laissa mourir dans le silence de la salle, ma foi assez satisfait de lui. Il se leva sur sa chaise, s'inclina bien bas et se rassis, un grand sourire aux lèvres.

Roland remercia Jocelin et commanda une dernière tournée avant de régler l'addition pour tous.

"Je crois bien que je ne me lasserai jamais des les chants de notre beau pays. Je crois bien que nul ne peut égaler le talent de nos ménestrels en ce bas monde. Ce serai un plaisir pour moi que de veiller avec vous mais la route a été longue pour parvenir jusqu'ici. C'est pourquoi je vous prie de m'excuser de m'en aller coucher."

Roland se tourna vers leur invitée.

"Je vous laisse donc en compagnie de François-Louis et Jocelin et vous souhaite une agréable soirée."

Il les salua et rejoignit sa chambre, fuyant les bruyants clients de l'établissement qui, tout juste entrés, semblait commenter un discours de l'intendant du bourg, exprimant leur approbation ou, plus rarement, leur mécontentement.

HRP : désolé pour le temps de réponse. Puisse les Sombres Puissances me faire endurer les pires souffrances^^.

Jocelin se leva et exécuta une belle révérence à l'adresse de son maître.

- Je vous souhaite la bonne nuit, monseigneur. Puisse-t-elle être calme et vous apporter le repos qu'assurément vous méritez.

Il se rassit et se tourna vers Cordélia.

- Il est vrai que cette chanson est sans doute plus jolie dans sa langue d'origine, mais je puis espérer qu'elle vous a tout de même plu.

Il sourit en attendant, un brin anxieux, la réponse de la jeune femme.

"Puisse Morr vous accorder une bonne nuit" salua Cordélia au chevalier qui se leva pour aller se coucher. Elle ne remarqua que trop tard qu'il avait payé pour elle aussi, ne pouvant donc plus décemment refuser pour payer elle même son ardoise.
"Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas croisé de nobles personnes aussi courtoises que le veut leurs statuts..." Un souvenir fugace quoique douloureux lui fit couler un frisson glacial le long de l'échine, se rémorant son seigneur et maitre, sa fin tragique en un flash devant ses yeux.
Elle reprit rapidement ses esprits, personne n'ayant semble-t-il rien remarqué.
"Par les griffes de Taal, faut que j'ailles doucement sur l'alcool, on dirait qu'il facilite leretour de ses maudits souvenirs !"pensa-t-elle.
Elle se tourna vers Jocelin le ménestrel.
" Cette chanson est magnifique ! Il est indéniable que vous avez beaucoup de talents, messire ménestrel ! Comment avez vous découvert votre vocation et vos dons ?

Cordélia Hoefer

Jocelin rougit un peu aux compliments de Cordélia et la remercia avant de répondre à sa question:

- Eh bien...je crois qu'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours chanté et joué de la flûte. Nous passions beaucoup de temps à apprendre de nouvelles chansons avec ma soeur. Et puis j'en suis venu au luth, qui est ma foi plus adapté comme accompagnement.

Il but une gorgée de sa nouvelle bière et continua, les joues légèrement rosies par l'alcool:

- Evidemment, mon père n'appréciait pas mon art. Il ne pensait qu'à ses terres, aux relations avec ses voisins et à la guerre. J'imagine qu'il a été bien heureux de me voir partir...

Jocelin soupire, les yeux dans le vague, puis reprend sa chope pour se donner du courage.

- Ensuite je suis monté à Couronne et c'est là que j'ai rencontré le chevalier de Castelbrienne, qui m'a aimablement pris à son service. Et voilà, je crois que vous savez tout.

Il sourit en haussant les épaules, posant sur la jeune femme un regard un peu trouble.